Les Québécois du 19e siècle, craignant l’assimilation à l’anglais, s’efforcent de nommer en français les réalités nouvelles.
Quand s’installe l’industrie des chemins de fer, on donne au Québec le nom de lisses aux rails, et on appelle les wagons : chars ou gros chars. En parallèle, on nomme les tramways petits chars, chars urbains ou chars électriques.
À l’inverse, la France de l’époque ne craint pas l’assimilation. Dès 1878, les mots anglais rail, wagon et tramway font leur entrée dans la 7e édition du Dictionnaire de l’Académie française. Cette apparente insouciance fait vivement réagir les lexicographes québécois.
En 1880, Oscar Dunn écrit dans son glossaire :
En effet, à cette époque, le w n’est utilisé en français que pour orthographier des noms communs ou des noms propres empruntés aux dialectes picard, wallon, normand, bourguignon ou des pays du Nord de l’Europe. Le w n’intègrera l’alphabet français qu’au milieu du 20e siècle.
C’est sous la plume de Sylva Clapin, dans la préface de son dictionnaire publié en 1894, que l’on trouve la charge la plus virulente contre les emprunts à l’anglais faits en France.
Allons plus loin, encore. Quand nous parlons, en langage de chemins de fer, de lisses et de chars, nous nous montrons en cela plus logiques que les Français, qui se servent, pour ces deux mots, de rails et wagons. Nous nous sommes, nous, au moins, donné la peine de vêtir ces deux mots à la française, tandis qu’en France on les a acceptés tels qu’ils venaient d’Angleterre, et fourrés tels quels et dare-dare dans le dictionnaire.
Et que dire, aussi, de tramway, que nous avons si coquettement traduit par « petit char ». Je prie le lecteur de bien saisir ici ma pensée. Lorsque je dis que « je vais prendre les chars, ou les petits chars », je ne prétends pas parler la langue du Boulevard des Italiens. Non, mais je maintiens tout simplement que je parle alors français, et même bon français, ce qui me suffit amplement.
(Clapin, Dictionnaire canadien-français, 1894)
À la même époque, des puristes québécois défendent la position de la France.
Cette double terminologie du domaine des chemins de fer cohabite pendant quelques décennies au Québec.
On trouve couramment des traces des emplois québécois francisés dans les journaux et autres publications de l’époque.
[V]eux-tu acheter un terrain? -?? -Bon marché; les petits chars vont y passer dans dix ans, les gros dans quelques temps, le gouvernement va y faire une rivière, et ça va valoir dix fois le prix dans une semaine.
(Ladébauche, texte humoristique, 17 août 1912, in TLFQ)
C’est une grande voyageuse devant le Seigneur. En petits chars, en gros chars et par bateau et dans la lune, elle voyage incessamment.
(Le Devoir, 25 juin 1920, in TLFQ)
Autour des années 1950, les mots québécois gros char, petit char et lisse seront supplantés par les anglicismes adoptés par la France : wagon, tramway et rail.
Que sont devenus les gros chars ?
Mais l’histoire ne se termine pas ainsi, car une expression, née à cette époque de fluctuations, est parvenue jusqu’à nous. On la retrouve d’abord sous la formulation : C’est pas les chars.
Aujourd’hui, on l’entend surtout sous la forme C’est pas les gros chars, toujours dans le sens de « ce n’est pas terrible, ça pourrait être mieux ».
Depuis 2018, il est possible d’obtenir un crédit réduit de 250 $ pour 200 heures de bénévolat. À 1,25 $/heure, c’est pas les gros chars!
(La Presse +, 23 mai 2019)
Au moment de l’entrevue, le 29 avril, la sève coulait à flots. « On vient d’atteindre les trois livres à l’entaille. On a espoir d’atteindre les 4 livres, dit Alexandre. Mais ce n’est pas sûr; ce ne sera pas les gros chars cette année, car habituellement on fait du 4,5 lb/entaille », dépeint-il.
(La terre de chez nous, 13 mai 2020)