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Est-ce que c’est français ?

Qui détient la légitimité de décider qu’un mot peut entrer dans la langue française? Cette question, les lettrés québécois se la sont posée au 19e siècle. Certains pensaient que c’était aux membres de l’Académie française, aussi appelés les immortels, de décider depuis Paris. D’autres ont plutôt répondu que les Français ne pouvaient pas nommer ce qu’ils ne connaissaient pas. C’est grâce aux premiers lexicographes du Québec que l’on a enfin vu nos mots décrits dans des dictionnaires faits ici.

Supposons que j’amène un des quarante immortels dans la cabane d’une sucrerie, que je fasse de la tire en son honneur, et que je lui demande comment il appelle cette opération. Le dictionnaire auquel il a collaboré ne lui donnera pas la réponse. Et cependant, il faut un mot pour dire la chose; mais la France, ignorant la chose, n’a pu nous fournir le mot : nous l’avons donc créé, c’était notre droit.

(Dunn, Glossaire franco-canadien, 1880)

Dans son article sucrerie, Oscar Dunn renchérit en nommant une partie du vocabulaire créé ici et lié à la production du sirop d’érable. Quand il parle du « dictionnaire », il fait allusion au Dictionnaire de l’Académie française.

Oscar Dunn (1880) Glossaire franco-canadien

Sucrerie était le mot utilisé au 19e siècle pour nommer à la fois l’érablière (forêt d’érables) et la cabane à sucre.

À l’époque, il ne s’agissait pas de grandes entreprises commerciales, mais de cabanes rudimentaires construites au cœur du bois. Celui qui y travaillait s’appelait un sucrier.

Sylva Clapin (1894) Dictionnaire canadien-français

Plus le milieu de l’érable s’est industrialisé,
plus son vocabulaire s’est adapté et enrichi.

Sur le modèle du mot agriculture, ont été créés les mots acériculture, acéricole, acériculteur et acéricultrice. Cabane à sucre a remplacé sucrerie, et désigne aujourd’hui le bâtiment central de l’érablière, où l’on fait bouillir la sève pour en faire du sirop. Dans les cabanes commerciales, un autre bâtiment sert de salle à manger pour accueillir les visiteurs et, partout au Québec, la saison des sucres marque l’arrivée du printemps.

Les mots du domaine acéricole sont maintenant présents dans la plupart des dictionnaires du français, qu’ils soient faits en France ou au Québec.

Premier producteur mondial de sirop d’érable, le Québec a enrichi la langue française de tout un vocabulaire propre à l’acériculture tout en permettant à la planète de se sucrer le bec!

Ce sont les Premières Nations qui ont d’abord extrait la sève des érables au printemps. Au 17e siècle, les colons français ont adopté cette pratique et y ont appliqué leurs connaissances en matière de fabrication du sucre.

Ce qui m’a paru assez remarquable dans l’eau d’érable, c’est que si à force de la faire boüillir on la reduit au tiers, elle devient un veritable syrop, qui se durcit à peu prés comme le sucre, & prend une couleur rougeâtre. On en forme des petits pains, qu’on envoie en France par rareté, & qui dans l’usage sert bien souvent au défaut du sucre François.


(Chrestien Leclercq, Nouvelle relation de la Gaspésie, 1691)

À partir du milieu du 19e siècle, la production des produits de l’érable devient une industrie, notamment par la récolte de l’eau d’érable avec chalumeau et chaudière de fer blanc, auxquels s’ajouteront les tubulures dans les années 1980.